Position du RPSL concernant la motion 2997 déposée devant le Grand Conseil genevois (https://ge.ch/grandconseil/data/texte/M02997.pdf)
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Août 2024
Commentaire des considérants de la motion
(i) […] La pénurie de logements ne fait que s’accélérer malgré les mesures de contrôle strictes du canton de Genève ;
Il n’y a pas grand-chose à dire à propos de ce considérant. Oui, le Canton de Genève est frappé d’une pénurie de logements, et ce n’est pas nouveau. Le taux de vacance des logements dans le Canton est de 0.42% et est le plus faible de Suisse avec le Canton de Zoug.[1] Habituellement, on parle de crise du logement lorsque le taux de vacance descend en dessous de 1%.
La cherté des loyers genevois en comparaison inter-cantonale est un écueil supplémentaire auquel sont confrontés les ménages genevois. Là aussi Genève se démarque et est le cinquième canton de Suisse à disposer des loyers les plus élevés.
Enfin, la densité populationnelle dans le canton est très importante. En Suisse, seul le Canton de Bâle-Ville connait d’une densité populationnelle plus importante. On compte 2072.6 habitants au kilomètre carré dans le Canton de Genève, contre 5’305.4 habitants au kilomètre carré pour Bâle-Ville. Le Canton de Zürich compte lui 942.1 habitants au kilomètre carré et est le troisième canton le plus densément peuplé de Suisse.
Ces trois paramètres mis bout à bout rendent la tâche des pouvoirs publics extrêmement compliquée en matière de politique publique du logement. Il faut loger une population importante sur un territoire déjà densément peuplé. De surcroit, les pouvoirs publics disposent d’une marge de manœuvre limitée en matière d’aménagement du territoire et de politique sociale du logement puisque la planification de logement d’utilité publique n’est possible qu’en zone de développement. Autrement dit, la planification pour les pouvoirs publics de l’affectation du sol, et la planification de logements répondant aux besoins prépondérants de la population n’est pas possible sur la majorité du territoire genevois.
Il est exagéré de parler de contrôle strict des pouvoirs publics du Canton de Genève en matière de planification des logements à construire et de leur typologie, puisque cette planification ne peut être opérée qu’en zone de développement, levier sur lequel cette motion, de la compréhension que j’en ai, n’agit pas.
(ii) […] La LGL assigne, en son article 1, une mission claire à l’État : « L’État encourage la construction de logements d’utilité publique et s’efforce d’améliorer la qualité de l’habitat dans les limites et selon les critères fixés par la loi » ;
Mon propos sera plus bref que pour le considérant (i). Oui la LGL assigne une mission claire à l’État, mais cette mission – et je me répète – n’est possible qu’en zone de développement puisque ce n’est qu’en zone de développement qu’il est possible pour l’État de planifier les typologies de logements à construire. L’État dispose donc d’une marge de manœuvre limitée en matière d’aménagement du territoire et de politique publique du logement, et ne saurait donc être tenu pour responsable de la situation de pénurie de logements.
(iii) […] Le peuple, par les nombreux refus en votation populaire de nouvelles constructions, exprime une certaine lassitude face aux nouveaux projets de logements ;
Il est factuellement faux de prétendre que la population refuse systématiquement les projets de logement ou de nouvelles constructions, c’est même l’inverse. En effet récemment, les PLQ Bourgogne et le PLQ Acacias I ont fait l’objet d’un référendum. Ces PLQ - bien que ne concernant qu’une commune, mais pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Ville de Genève - ont été acceptés en votation populaire. Ces PLQ, aujourd’hui en force, font tous la part belle à la construction de logements accessibles et de qualité.
De plus début 2023, les PL 12’290 et 12’291 qui remettaient en question les types de logements à construire au PAV étant donné que, selon les défenseurs de ces PL, ceux-ci ne correspondaient pas assez aux besoins de la population, ont été largement refusés par la population genevoise.
Au contraire, la population genevoise semble considérer qu’il manque aujourd’hui de logements locatifs abordables et de qualité dans le Canton.
(iv) […] Des personnes âgées occupent aujourd’hui des appartements devenus trop grands, tandis que les familles ne trouvent pas d’appartements répondant à leurs besoins ;
Ce considérant appréhende le nombre de mètres carrés par habitant, ce qui est une bonne chose en soi. De nombreuses personnes âgées – bien qu’il n’existe à ma connaissance pas de statistique en la matière – souhaiteraient déménager pour les motifs invoqués, à savoir qu’elles habiteraient un logement devenu trop grand suite au départ de leurs enfants et/ou au décès de personnes proches. Les médias se sont intéressés au phénomène (voir La Matinale du 7 juin 2024), et les personnes âgées interrogées faisant état d’une volonté de quitter un logement devenu trop petit étaient souvent confrontées à la dure réalité du marché locatif, à savoir qu’elles n’ont tout simplement pas les moyens pour prétendre habiter un logement locatif aux prix du marché actuel. Cette réalité est d’autant plus dure que les personnes en question, à la retraite, n’ont pas la perspective de voir leur revenu augmenter.
Je dois en outre vous manifester mon étonnement de voir que ce sont les personnes âgées qui sont nommées par les motionnaires. Il ne me semble pas qu’il s’agisse de la catégorie de la population qui consomme le plus de mètres carrés pour se loger. Pourquoi donc stigmatiser cette catégorie de la population si la volonté émanant de cette motion est de considérer les mètres carrés plutôt que les pièces afin, et je reprends le titre de la motion, de créer du logement.
Il existe des réflexions pour la mise en place de bourses d’échanges d’appartements, afin de pallier à la problématique de logements devenus trop grands pour leur habitants, notamment suite au départ des enfants de la maison. Ces réflexions sont à encourager, pour autant que l’échange d’appartements soit effectué sur une base volontaire des locataires.
(v) […] D’autres cantons appliquent un système de fixation des loyers prenant en compte les mètres carrés (au lieu du seul nombre de pièces) et proposent des logements répondant aux besoins prépondérants de leur population.
Dans le Canton de Genève aussi, le nombre de mètres carrés est partie intégrante du système de fixation des loyers des logements d’utilité publique (HBM, HLM, HM). En effet pour chaque appartement avec un nombre de pièces données, une surface nette minimale y est adossée. La détermination de cette surface minimale est inscrite dans le Règlement d’exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires (art. 1 al. 5 et art. 2 al. 2 RGL ; I 4 05.01). Par exemple :
pour un appartement d’une pièce et demi, la surface nette minimale doit être de 20 mètres carrés,
pour un appartement de deux pièces, la surface nette minimale doit être de 26 mètres carrés,
pour un appartement de deux pièces et demi, la surface nette minimale doit être de 33 mètres carrés,
pour un appartement de trois pièces, la surface nette minimale doit être de 39 mètres carrés,
[etc.]
Le nombre de pièces, auquel est adossé un nombre de mètres carrés minimal, est ensuite pris en compte dans la fixation du loyer théorique. Par ailleurs le taux d’effort, qui est le pourcentage minimum du revenu déterminant qui doit être consacré au paiement du loyer prend en compte le taux d’occupation. Pour simplifier, plus un logement sera densément peuplé, moins le locataire devra consacrer une part importante de son revenu au paiement de son loyer, et vice versà (voir art. 8 LGL).
Le loyer théorique est ensuite obtenu par la multiplication du taux d’effort par le revenu déterminant LGL du groupe de personnes habitant le logement locatif.
Si les critères en matière de surface nette minimum ne sont pas la simple addition du nombre de mètres carrés par pièce figurant dans la Loi sur les constructions (art. 52 LCI ; L 5 05), c’est qu’il faut bien que chaque logement accueille des équipements usuels tels que des WC, une douche, etc.
Par ailleurs, il importe que ces logements soient un minimum confortables et qu’on ne procède pas à un urbanisme d’entassement, c’est-à-dire qu’on ne recherche pas à loger un maximum d’individus dans un minimum de mètres carrés. Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé et construire des quartiers de « cages à lapin » et ceci pour plusieurs raisons. Le développement du télétravail en est une, il faut que les locataires puissent disposer d’un logement dans lequel il soit possible de travailler dans des conditions agréables. Par ailleurs, puisque plus il y de personnes dans un même logement, plus il y a de chances que des enfants scolarisés y habitent, il importe aussi que ces enfants puissent étudier dans de bonnes conditions et disposent de la place pour le faire.
Outre le calcul du loyer théorique pour les logements de catégorie LGL 1, 2 et 4 (soit les logements HBM, HLM et HM), tant pour l’allocation logement (art. 21) que pour l’aide à l’acquisition de parts sociales dans une coopérative, (art. 34 D LGL), le nombre de pièces (et donc indirectement le nombre de mètres carrés) est pris en considération pour déterminer le taux d’effort supportable, et donc pour déterminer le niveau du loyer. De façon analogue au mécanisme en vigueur pour les logements de catégorie 1, 2 et 4, plus un logement est densément peuplé, moins le taux d’effort demandé sera important proportionnellement aux revenus du groupe de personnes désirant habiter le logement locatif.
Tant pour l’allocation logement (art. 21) que pour l’aide à l’acquisition de parts sociales dans une coopérative (art. 34D), il est pris en compte le nombre de pièces (et donc indirectement le nombre de pièces) pour déterminer le TE supportable. C’est à dire, que plus la densité de personnes habitant le logement est importante, moins le TE demandé est important proportionnellement aux revenus du groupe de personne désirant habiter le bien.
Discussion autour de la proposition de la motion
Si cette motion ouvre le débat sur la question de la densité des logements dans lesquels nous vivons, c’est-à-dire du nombre de mètres carrés par habitant, sa proposition centrale pour ne pas dire la seule, invite le Conseil d’État « à reconsidérer le calcul des surfaces en fonction des mètres carrés de surface brute de plancher (SBP) plutôt que du nombre de pièces ». Il ne semble donc pas que cette motion permettra d’optimiser l’utilisation du sol en terme de mètres carrés par habitant.
En ce qui concerne les logements LUP, c’est à dire les logements bénéficiant d’une subvention, le nombre de mètres carrés est déjà pris en compte dans le système de fixation des loyers. Le système de fixation des loyers en vigueur est intéressant puisqu’il permet à la fois la souplesse dans la mesure où à un nombre de pièces donné est adossé un nombre de mètres carrés minimum (mais pas de maximum), et à la fois rigide dans la mesure où à un nombre de pièces correspond un certain taux d’occupation, avec augmentation de l’effort des locataires en terme de loyer à payer à mesure que l’occupation du logement diminue.
Pour ce qui est des autres logements concernés par l’alinéa 1 de l’art. 4A LGZD, à savoir le tiers de logements locatifs libres (ZD LOC) ou le tiers de logements « laissés au libre choix de celui qui les construit », pour l’essentiel des PPE en vertu de l’alinéa 2 de l’art. 4A LGZD, il n’existe pas de réglementation aussi aboutie que pour les LUP.
La fourchette de loyers admissibles au sens de la LDTR (art. 6 al. 3 ; L 5 20) prévoit un loyer minimum par pièce et par an, pour les logements ayant fait l’objet d’une rénovation ou d’une transformation. Étant donné que l’aire minimale d’une pièce est réglementée par la LCI (art. 52, al. 1), le nombre de mètres carrés par pièces et par an est indirectement pris en compte pour la détermination du loyer des logements soumis à la LDTR.
Ignorant les motivations des auteurs de la motion, il est difficile de se prononcer en faveur du rejet ou de l’acceptation de la présente motion. Toutefois et vous l’aurez compris, il existe d’ores et déjà une prise en compte du nombre de mètres carrés dans le mécanisme de fixation des loyers des LUP. Si la volonté des motionnaires est de légiférer ou de proposer d’avantage de réglementation en la matière (notamment pour le tiers de ZD LOC, et le tiers de logements laissés au libre choix de celui qui construit soit pour l’essentiel des PPE), le RGL et plus précisément ses articles 1, 2 et 8, constitue une base de réflexion intéressante puisque le système de fixation des loyers en vigueur tient compte du nombre de mètres carrés, tout en octroyant une certaine liberté bienvenue aux maîtres d’ouvrages et aux promoteurs en ne leur imposant pas de maximum en terme de mètres carrés. Il serait donc bienvenue de s’en inspirer. Dans tous les cas, avant d’aller de l’avant dans l’une ou l’autre direction, le RPSL considère qu’il serait opportun d’évaluer les retombées d’un tel projet, afin d’en mesurer les avantages, mais surtout les désavantages.
[1] Source : OFS, toutes les statistiques mobilisées dans cette prise de position proviennent de l’OFS (au 31.12.2023).
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