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  • Romain Gauthier

Position du RPSL à propos du PL 13049

Dernière mise à jour : 22 mars 2022

Projet de loi modifiant la loi générale sur le logement et la protection des locataires (LGL) (I 4 05) (Pour réaliser des logements répondant aux besoins de la population)


La prise de position suivante a été présentée à la Commission Logement du Grand Conseil le 22.03.2022.


I. Introduction

Avant de s’attaquer au commentaire de ce projet de loi, il convient de faire quelques remarques préliminaires concernant le droit de préemption et le cadre dans lequel l’État ou une commune peuvent user de ce droit.


Recourir à la préemption n’est pas chose aisée et est encadrée strictement par la Loi générale sur le logement (LGL), plus précisément ses articles 3 à 8.


NB : Dans le texte qui suit, lorsqu’il est fait référence à un article de loi entre parenthèses sans que la loi à laquelle il est fait référence soit précisée, merci de se référer à la LGL.


II. Conditions actuelles encadrant le recours au droit de préemption

Seuls les biens-fonds faisant l’objet d’une modification des limites de zone, ou les biens-fonds situés en zone de développement, peuvent faire l’objet d’une préemption. De plus, le droit de préemption ne peut s’exercer qu’au sens où l’entend la Loi générale sur le logement et la protection des locataires, c’est-à-dire dans une perspective de construire des logements à des fins d’utilité publique (art. 3 al. 1).


Cette condition restreint le recours à la préemption d’un point de vue territorial. Il n’est pas possible de préempter sur l’ensemble du territoire cantonal.


Le droit de préemption de l’État et des communes fait l’objet d’une mention au registre foncier. Autrement dit, le propriétaire d’une parcelle grevée du droit de préemption ne peut, en principe, l’ignorer. De façon analogue, l’éventuel acquéreur ne peut l’ignorer (art. 3 al. 2).


Le propriétaire aliénant, ou promettant de le faire, un bien-fonds soumis au droit de préemption en vertu de la présente loi est tenu d’en aviser immédiatement les éventuels préempteurs, c’est-à-dire le Conseil d’État, et la commune sur laquelle est située le bien-fonds (art. 4 al. 1). En règle générale, le droit de préemption des communes est subsidiaire au droit de préemption de l’État, sauf dans les communes de moins de 3'000 habitants.


L’ensemble des parties concernées par une éventuelle préemption, que celle-ci demeure au rang du possible ne se réalisant jamais, ou qu’elle devienne effective, sont informées en amont du fait qu’un bien-fonds peut être sujet à une préemption, ou qu’un bien-fonds sujet à la préemption a fait l’objet d’un transfert de propriété, ou qu’un tel transfert est imminent.

Le droit de préemption en faveur de l’État et des communes est subsidiaire au droit de préemption légal de l’article 682 du code civil, lequel encadre le droit de préemption d’un copropriétaire sur l’acquisition d’une part par un acquéreur ne détenant pas de droit de copropriété (art. 3 al. 2).


Le copropriétaire d’un bien-fonds, dont l’une des parts serait sujette à une éventuelle préemption, a un droit de préemption « supérieur » à l’État ou à la Commune, c’est-à-dire qu’il a la priorité sur tout autre éventuel préempteur.


L’État dispose, à compter de la date du dépôt de l’acte de cession de propriété à l’office du registre foncier, de 60 jours pour : renoncer à l’exercice du droit de préemption, acquérir le bien-fonds au prix et conditions fixés dans l’acte, acquérir le bien-fonds au prix et conditions fixés par lui, ou notifier aux parties liées par l’acte sa volonté de recourir à l’expropriation si les conditions légales sont réunies (art. 5 al. 1).


Actuellement, l’État ne dispose que de 60 jours pour se déterminer à compter de la date du dépôt de l’acte de cession de propriété, faute de quoi il perd le droit de recourir à la préemption.


Dans le cas où l’État renonçait à l’exercice de son droit de préemption, il doit aviser la Commune concernée par le bien-fonds en même temps que les parties prenantes de l’acte. À compter de 30 jours suivant cette notification, la Commune peut : renoncer à l’exercice du droit de préemption, acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés dans l’acte, acquérir le bien-fonds au prix et conditions fixés par elle, ou notifier aux parties liées par l’acte sa volonté de recourir à l’expropriation si les conditions légales sont réunies (art. 5 al. 2). Dans le cas où la cession devait être effectuée par voie d’expropriation, le prix est fixé juridiquement sur la base de la valeur vénale du bien-fonds, le vendeur du bien-fonds ne peut donc être lésé par un prix inférieur à la base vénale.


La Commune ne dispose également que de 30 jours pour se positionner, ce qui est en l’état actuel de la LGL très court, puisque l’acquisition du bien-fonds ne peut être opérée sans l’assentiment du Conseil municipal qui doit valider par voie de délibération une demande de crédit (LACC, art. 30, al. 1, let. k).


Dernière condition à mettre en avant, le préempteur doit rembourser l’intégralité des frais engagés par l’acquéreur évincé dans le cadre de la procédure (droit d’enregistrement de l’acte, émoluments de l’office du registre foncier, honoraires de notaire relatifs à l’acte et intérêts courus ayant été payés au notaire par l’acquéreur évincé) (art. 5 al. 4).


III. Synthèse des conditions actuelles encadrant le droit de préemption

Premièrement en terme d’objectifs, la préemption relève de l’intérêt général, la construction de logements d’utilité publique (art. 3 al. 1). La préemption est un outil à disposition des collectivités publiques répondant à trois objectifs.


i. La préemption permet de lutter contre la spéculation. Par exemple dans le cas d’une cession de bien-fonds se faisant à des prix anormalement élevés par rapport à la valeur vénale, l’État peut préempter afin d’éviter que des activités spéculatives contribuent à l’élévation des prix dans une zone de développement ou dans un périmètre faisant l’objet d’une modification de zone.

ii. La préemption permet d’atteindre les objectifs du Plan Directeur Cantonal en matière d’aménagement du territoire.

iii. La préemption permet d’atteindre les objectifs cantonaux en matière de construction de logements d’utilité publique, afin entre autres que Genève atteigne le minimum légal de 20% de LUP à l’horizon 2030.


Deuxièmement en terme territorial, n’importe quel bien-fonds ne peut pas faire l’objet d’une préemption, celui-ci doit être situé en ZD ou doit faire l’objet d’une demande de modification de zone. Le nombre des biens-fonds concernés par une préemption est donc minime (art. 3 al. 1).


Troisièmement en terme organisationnel, l’éventuel préempteur ne dispose que d’un délai limité dans le temps afin de faire valoir son droit à la préemption. Cela nécessite qu’il s’organise très vite, dispose d’un projet de logements à l’endroit concerné par la parcelle qui justifie sa volonté de préempter, etc. (art. 5 al. 1 et al. 2).


Quatrièmement les parties éventuellement concernées par une préemption (acquéreur évincé, propriétaire de la parcelle) disposent de l’information selon laquelle une parcelle est grevée du droit de préemption. Ils ne peuvent donc être surpris que l’État ou une commune décide d’y recourir. De surcroit l’acquéreur évincé par une préemption est compensé financièrement pour les frais engagés avant qu’une entité publique recoure à la préemption (art. 4 al. 1 et art. 5 al. 4).


Au regard de ce qui précède, et contrairement à ce que laisse entendre l’exposé du PL 13 049, le recours au droit de préemption est déjà strictement encadré d’un point de vue légal.


IV. PL 13 049

Le PL 13049 rajoute un certain nombre de conditions pour qu’une préemption puisse devenir effective.


Premièrement, un PLQ en force doit exister, c’est-à-dire qu’il doit déjà avoir été validé par le Conseil d’État (nouvel art. 3 al. 2 let. a). Cette condition restreint considérablement la fenêtre durant laquelle une préemption peut avoir lieu. En effet, la réalisation d’un PLQ fait l’objet de longues négociations entre le moment où il est initié et sa concrétisation. Ces négociations s’étalent souvent sur plusieurs années et impliquent de nombreux acteurs (Administration communale, Administration cantonale, Grand Conseil, Conseils municipaux, associations, propriétaires, etc.). Durant ces négociations, la planification des logements d’utilité publique sera concrétisée, et alors même qu’il sera toujours notifié de la volonté d’un propriétaire de se séparer de son bien, l’éventuel préempteur ne pourra intervenir étant donné que les négociations n’auront pas abouti et que le PLQ ne sera pas en force.


Deuxièmement, un projet concret disposant d’un crédit en force doit exister afin que l’État ou une Commune puissent exercer leur droit de préemption (nouvel art. 3 al. 2 let. b). Outre l’existence d’un PLQ en force afin qu’une préemption puisse être engagée, la deuxième condition que le PL 13 049 propose d’intégrer est l’existence d’un crédit en force. Quand bien même un préempteur réussirait le tour de force, suite à la réception d’une notification faisant état de la cession d’un bien-fonds grevé d’un droit de préemption, à réunir la condition du PLQ en force –alors que cette condition ne dépend pas exclusivement de lui-, il devrait en outre disposer d’un crédit en force lequel lui permettrait d’acquérir le bien-fonds concerné.


Une fois ces deux conditions réunies, et que donc le délai pour réaliser la préemption (30 jours ou 60 jours selon qui est le préempteur, cf. plus haut) aura été entamé, le préempteur pourrait s’en retourner auprès de l’acquéreur afin de débuter les négociations pour une éventuelle préemption. Sa marge de manœuvre serait alors limitée par le crédit à sa disposition. Sachant cela, le propriétaire d’une parcelle grevée du droit de préemption pourrait être tenté de « jouer la montre » afin de faire échouer la préemption.


Troisièmement, si l’acquéreur d’une parcelle grevée d’un droit de préemption s’engage à construire du LUP au sens où il est compris par l’article 4A, alinéa 1, lettre a, de la LGZD, l’État et la Commune perdent leur droit de préempter. Dès lors, dans l’hypothèse où cet alinéa venait un jour à être effectif, il est légitime de s’interroger sur la forme que prendrait cet engagement de l’acquéreur à réaliser du LUP. En outre, une fois le délai durant lequel il est possible de préempter écoulé, l’acquéreur pourrait très bien décider de ne pas réaliser du LUP.


V. Conclusion

L’exposé des motifs du PL 13 049 présente la préemption comme un outil dont il est facile d’abuser, ce qui n’est pas le cas tant les obstacles à lever pour mener à bien une préemption relèvent du parcours du combattant. En ce sens, la présente argumentation vise à attirer l’attention de la Commission Logement du Grand Conseil sur le caractère complexe que revêt le recours à la préemption, et sur le fait qu’il ne peut y être recouru que dans une perspective de poursuite de l’intérêt général.


En outre, le PL 13 049 porte atteinte à l’esprit de la LGL, qui vise précisément à doter l’État et les communes d’outils leur permettant de construire du logement d’utilité publique et de réaliser les objectifs du plan directeur cantonal. Dans cette optique, la maîtrise foncière du sol est un outil important et ce PL 13 049 contribuerait à rendre caduque l’existence d’un droit pourtant au cœur de la LGL et qui est au cœur des politiques publiques de notre canton en matière de logement et d’aménagement du territoire.


En outre, afin que l’État et les communes puissent construire du LUP de qualité, il faut leur en donner les moyens et les outils, afin qu’elles disposent d’un pouvoir d’agir en amont de la concrétisation d’un PLQ, que le droit de préemption soit un outil dont les collectivités publiques puissent user en amont afin de planifier sereinement la construction de LUP. En ne laissant que les miettes aux collectivité publiques, ce à quoi ce PL participe, et dans l’hypothèse où il était accepté, les futurs LUP qui verront le jour le seront sur des parcelles de second choix, avec pour conséquence de donner de l’eau au moulin à ceux qui aiment comparer les LUP à des ghettos desquels la mixité sociale est absente.


En résumé, ce PL est très lourd administrativement. Il rendra le recours à la préemption quasiment impossible pour les collectivités publiques, et les prive d’un outil dont elles ne peuvent abuser.


En l’état, le RPSL en appelle à votre bon sens et vous invite à rejeter ce projet de loi.



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